Paru dans Petites affiches le 15 juillet 2010 et en ligne sur Lextenso.fr

(Cass. com., 16 juin 2009 et 26 mai 2010 ; 2 arrêts)

La jurisprudence récente fournit deux illustrations de l’extension d’une liquidation judiciaire à d’autres sociétés du même groupe pour confusion de patrimoines de deux sociétés commerciales (1er espèce) ainsi qu’entre une SARL et une SCI (2e espèce).

1re espèce: 
Cass. com., 16 juin 2009 n° 08-15883
Société  Maurice  X et M. Y

La Cour:
(…)

Sur  le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (CA Paris, 14 février 2008), que la société Mafi constructions ayant été mise en redressement puis en liquidation judiciaires les 22 mai et 28 juin 2007, le liquidateur a demandé l’extension de cette procédure à la société Maurice X ;

 

Attendu que la société Maurice X et M. Y, agissant en qualité de mandataire ad boc de cette société, font grief à l’arrêt d’avoir étendu à l’encontre de la société Maurice X la procédure de liquidation judiciaire de la société Mafi constructions et dit que les opérations de la liquidation  judiciaire se dérouleraient sous patrimoine commun, alors, selon le moyen :

1)  que seules  des relations financières anormales entre deux personnes morales caractérisent  une imbrication des éléments d’actif et de passif révélatrice d’une confusion de patrimoines; que pour retenir une telle  confusion entre les sociétés Mafi constructions et Maurice X, la cour d’appel s’est  bornée à relever que des salariés de Mafi constructions travaillaient également pour la société Maurice X, que celle-ci payait les factures de téléphone de ces salariés et bénéficiait des cartes de carburant de la société Mafi constructions, laquelle était enfin débitrice à l’égard de la société Maurice X d’une somme de 400 000 € que cette dernière n’avait pas déclarée au passif ; qu’en se déterminant par ces circonstances de fait insusceptibles de caractériser l’existence de relations financières anormales constitutives d’une confusion de patrimoines, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 621-2, alinéa 2 du Code de commerce ;

2) que tout mouvement de fonds d’une société à une autre ne peut justifier une extension pour confusion de patrimoines s’il s’inscrit dans le cadre d’engagements réciproques ; que la cours d’appel a relevé d’une part, que les salariés des sociétés travaillaient indifféremment pour l’une et pour l’autre avec le matériel de l’une et de l’autre, et, d’autre part, que la société Maurice X s’acquittait des factures de téléphone des salariés de la société Mafi constructions tandis que celle-ci réglait le carburant de la société Maurice X et, enfin, que les charges des deux entreprises étaient payées par l’une et par l’autre, ce dont il résultait la réciprocité des engagements des deux sociétés ; qu’en en déduisant dès lors l’existence d’une confusion de patrimoines entre ces deux personnes morales, sans expliciter en quoi ces éléments ne relevaient pas de la simple réciprocité des engagements financiers de celle-ci, exclusive de toute confusion de patrimoines, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L.  621-2, alinéa 2 du Code de commerce;

3) qu’au surplus la preuve est libre en matière commerciale; qu’en affirmant que des extraits du grand-livre des comptes n’avaient pas en eux-mêmes de valeur probante, la cour d’appel a violé l’article L.  110-3 du Code de commerce ;

4) que la seule irrégularité, à la supposer avérée, affectant la comptabilité de la société Mafi constructions ne pouvait constituer un des éléments de la confusion de patrimoines avec la société Maurice X ; qu’en se fondant dès lors sur l’absence d’écriture dans la comptabilité de la société Mafi constructions correspondant à la prise en charge de sa quote-part de carburant par la société Maurice X pour en déduire une confusion de patrimoines, la cour d’appel n’a pas caractérisé l’existence de relations financières anormales et a encore privé sa décision de base légale au regard de l’article L.  621-2, alinéa 2 du Code de commerce ;

Mais attendu qu’après avoir relevé qu’il est exact qu’une identité d’associés, de siège social jusqu’au 26 septembre 2006, voire d’activité, et le fait que chacun des deux époux Z ait assuré la direction d’une société, ne sauraient suffire à caractériser une confusion des patrimoines, l’arrêt retient que deux salariés de la société Mafi constructions étaient  » utilisés  » par la société Maurice X tandis que d’autres salariés travaillaient pour l’une ou l’autre société, utilisant indifféremment le matériel appartenant à l’une ou à l’autre ; qu’il retient encore, appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve qui lui étaient soumis, que la société Maurice X prenait en charge le coût des factures de téléphone portable et de téléphone fixe utilisés par les salariés de la société Mafi constructions et que les cartes de carburant au nom de cette dernière bénéficiaient à la société Maurice X ; qu’il retient enfin que les charges des deux entreprises étaient indifféremment réglées par l’une ou par l’autre et que la société Mafi constructions restait ainsi redevable, au 31 mars 2007, de près de 400 000 € à la société Maurice X, somme que cette société n’avait pas déclaré au passif de la société Mafi constructions et que la convention de trésorerie en date du 30 novembre 1996, qui intéressait également une troisième société animée par M. Z, était, à la supposer valable, sans portée dès lors que la mise à disposition de trésorerie était limitée à la somme de 76 224,51 €; que par ces constatations et appréciations caractérisant des relations financières anormales entre les deux sociétés, la cour d’appel a, sans encourir le grief de la troisième branche, légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs :
Rejette le pourvoi ;
Condamne la société Maurice X et M. Y, ès qualités, aux dépens ;
Vu l’article 700 du Code de procédure civile,
rejette leur demande ;
(…)

2e espèce :
Cass. com., 26 mai 2010 n° 09-66615
Société Pr Abc Billard et les Belles Pierres

La Cour:
( … )

Sur le moyen unique :
Attendu, selon l’arrêt attaqué (CA Nîmes, 19 mars 2009), que, le 1er octobre 2004, les sociétés Pr Abc Billard et Les Belles Pierres, MM. Y et Z ont constitué la SARL Black Clover (la société Black) ayant pour objet l’exploitation d’un pub ; qu’en décembre 2004, cette dernière a conclu un bail commercial avec la SCI Roussy (la société Roussy) portant sur des locaux destinés à recevoir le pub acquis, le 30 septembre 2004, avec effet rétroactif au 1er novembre 2004, moyennant un loyer mensuel de 3 100 € HT ; que le preneur devait laisser en fin de bail au bailleur tous travaux d’aménagement, d’amélioration, de modification ou de réparation sans indemnité, sauf à rétablir les lieux dans l’état primitif à ses frais exclusifs; que, dès le 1er octobre 2004, la société Black a entrepris à ses frais des travaux de rénovation complète de l’immeuble à concurrence de 358 365  €, tandis qu’elle accumulait un arriéré de loyers de 47 201,56 € avant que la bailleresse ne mette en oeuvre la clause résolutoire de plein droit en février 2006 que, le 20 septembre 2006, la société Black a été mise liquidation judiciaire immédiate, M. B. étant désigné liquidateur ; que, par jugement du 22 janvier 2008, le liquidateur a été débouté de sa demande d’extension à la société Roussy de la procédure ouverte à l’encontre de la société Black ;

Attendu que la société Roussy fait grief à l’arrêt d’avoir constaté l’existence de flux financiers anormaux entre elle-même et la société Black, caractérisant la confusion des patrimoines, prononcé l’extension à son encontre de la liquidation judiciaire ouverte à l’encontre de société Black, alors, selon le moyen, que l’existence de flux financiers anormaux entre la société en procédure collective et celle visée par une demande d’extension suppose une volonté systématique d’appauvrissement de la première au profit de la seconde; que la cour d’appel, en se bornant à relever ; pour caractériser la confusion de patrimoines entre la SCI Roussy et la SARL Black Clover, que le bailleur a attendu plus d’un an pour mettre en oeuvre la clause résolutoire à raison du défaut de paiement des loyers et obtenir la résiliation du bail, ce qui lui a permis de récupérer la propriété des travaux réalisés par le preneur, s’est déterminée par des motifs impropres à caractériser l’existence de flux anormaux entre les deux sociétés dans la mesure ou les délais consentis au locataire s’expliquaient par le démarrage de l’activité et ou les travaux revenaient au bailleur par l’effet d’une clause d’accession usuellement insérée dans un bail commercial, et a privé son arrêt de base légale au regard de l’article L. 621-2 du Code de commerce.

Mais attendu qu’ayant relevé que la société Black finançait des travaux excédant largement ses possibilités du moment et même futures lors de l’exploitation commerciale escomptée et que, depuis l’origine, cette société se trouvait dans une situation de dépendance économique et juridique totale et anormale vis-à-vis de la société Roussy, son bailleur, avec lequel elle n’avait aucun lien capitalistique direct, cette situation étant nécessairement connue par la bailleresse dont le gérant, M. Z, était l’un des quatre associés de la société Black, l’arrêt retient que la passivité inhabituelle et répétée de façon systématique du bailleur, qui a attendu le 6 janvier 2006, soit plus d’un an, pour délivrer une première sommation de payer pendant qu’une somme de plus 42 000  € était due, retardant la résiliation du bail sans avoir à payer ni indemnité, ni les travaux immobiliers effectués et financés dans son local commercial par la société Black, caractérisait une collusion manifeste entre les deux sociétés, le bailleur bénéficiant ainsi d’un flux financier anormal, au détriment des créanciers de la société mise en liquidation judiciaire, comme cela était prévisible dès l’origine du contrat de bail commercial exécuté dans les conditions d’une confusion des patrimoines; qu’en l’état de ces constatations et appréciations caractérisant des relations financières anormales entre les deux sociétés, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Par ces motifs :
Rejette le pourvoi ;
Condamne la société Roussy aux dépens ;
Vu l’article 700 du Code de procédure civile,
rejette les demandes ;

( … )

La Cour de cassation a, de longue date, autorisé l’extension d’une procédure collective ouverte à l’encontre d’une société à une ou plusieurs sociétés du même groupe. Cette solution prétorienne a ensuite été consacrée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises. Les procédures de sauvegarde, de redressement et de liquidation judiciaires peuvent être étendues  à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale (1).

Faute de précisions fournies par le législateur quant aux conditions de mise en œuvre et aux effets d’une telle extension de procédure, il convient de se référer aux décisions de jurisprudence rendues sur le sujet pour déterminer le régime juridique applicable.

Dans la continuité de sa jurisprudence abondante, la Cour de cassation s’est récemment prononcée sur les conditions d’extension d’une procédure de liquidation judiciaire en cas de confusion de patrimoines entre deux sociétés commerciales (I) ainsi qu’entre une société commerciale et une SCI créée pour les besoins de l’acquisition de l’immobilier d’exploitation (II).

 

1. Relations financières anormales entre sociétés commerciales

 

De l’examen des différentes décisions rendues par la Cour de cassation, il ressort que la confusion de patrimoines pouvant être  à l’origine de l’extension d’une procédure collective se caractérise par des flux financiers anormaux entre les personnes concernées (2). Pour autant, ces relations financières anormales doivent être appréciées de manière stricte notamment parce qu’elles peuvent conduire à l’ouverture d’une procédure collective  à l’encontre d’une société in bonis. Ainsi, l’identité d’associés, de dirigeants, d’objets sociaux voire de services administratifs et comptables ne suffit pas à caractériser cette anormalité (3).

Dans un arrêt du 16 juin 2009, la Cour de cassation fournit des éléments d’appréciation de la notion de relations financières anormales concernant deux SARL, l’une spécialisée dans le gros oeuvre de bâtiments neufs et l’autre ayant une activité de maçonnerie traditionnelle (4).

Après avoir rappelé qu’au cas d’espèce la confusion de patrimoines ne saurait se déduire de l’identité d’associés, de siège social, voire d’activité et d’exercice des fonctions de direction par les deux époux, les magistrats retiennent plusieurs éléments de nature à caractériser des relations financières anormales entre ces deux sociétés. Ainsi, la Cour relève que l’arrêt d’appel contre lequel il est fait grief fait état de salariés « utilisés » en commun par les deux sociétés, d’autres salariés travaillant indifféremment pour l’une ou l’autre des sociétés en utilisant indifféremment du matériel appartenant à l’une ou l’autre. Par ailleurs, la société contre laquelle la liquidation judiciaire a été étendue prenait en charge le coût des factures de téléphone fixe et de téléphone portable utilisés par les salariés de la société débitrice. En outre, les charges des deux entreprises étaient indifféremment réglées par l’une ou l’autre des deux sociétés.

Afin de caractériser les relations financières anormales, la Cour a également relevé que, peu de temps avant sa mise en redressement judiciaire, la société liquidée était redevable d’une dette de 400 000  € à l’encontre de la société contre laquelle la procédure a été étendue, somme que cette dernière n’avait même pas pris la peine de déclarer au passif. Après examen du détail  des relations financières entre les deux sociétés concernées, la Cour de cassation considère qu’il ne pouvait être reproché au liquidateur d’avoir étendu la procédure de liquidation judiciaire et réalisé les opérations de liquidation sous patrimoine commun.

Il. Relations financières anormales entre une SARL et une SCI

 

L’existence de relations financières anormales peut également être caractérisée suite  à la mise en place de structures de détention immobilière – le plus souvent une SCI – en particulier en cas de communauté d’intérêts avec les associés et/ ou dirigeants de la société locataire.

De même que pour des situations n’impliquant que des sociétés commerciales, en cas de difficultés financières de l’une des sociétés impliquées dans un tel montage immobilier, la caractérisation d’une confusion de patrimoines ne peut résulter de la seule identité d’associés. L’extension d’une procédure collective nécessite donc l’existence de flux financiers anormaux entre la SCI et la société commerciale.

Statuant dans l’hypothèse la plus fréquente en pratique d’appauvrissement d’une SCI, la jurisprudence a reconnu la confusion de patrimoines entre une société commerciale et une SCI ayant eu le même dirigeant de fait dans la mesure où la SCI s’était privée de facturer des loyers et avait supporté le coût des travaux de l’immeuble (5).

Dans son arrêt du 26 mai 2010, la Cour de cassation a été amenée à connaître d’une affaire dont l’examen des faits traduit une collusion entre une société commerciale et une SCI au seul bénéfice de cette dernière (6).

Au cas d’espèce, une SARL avait été constituée afin d’exploiter un pub et avait conclu un bail commercial avec ladite SCI. La SARL avait entrepris, à ses frais, des travaux de rénovation complète de l’immeuble qui revenaient à la SCI en fin de bail, sauf  à rétablir les lieux dans l’état primitif à ses frais exclusifs.

Deux ans seulement après sa création, la SARL ayant accumulé des arriérés de loyers importants et par suite été mise en liquidation judicaire, le liquidateur sollicita l’extension de la procédure  à la SCI.

Pour rejeter la demande de la SCI  à l’encontre de l’arrêt d’appel, la Cour de cassation relève que la SARL se trouvait dans une situation de dépendance économique et juridique totale et anormale vis-à-vis de la SCI dont le gérant était par ailleurs l’un des associés de la SARL.

Afin d’établir la « collusion manifeste » entre les deux sociétés, la Cour retient que la liquidation judiciaire de la SARL était prévisible dès la conclusion du contrat de bail dans la mesure où le coût des travaux et le montant des loyers excédaient largement les capacités financières que cette dernière pouvait dégager au titre de son exploitation commerciale.

Selon la Cour, la confusion de patrimoines à l’origine de l’extension de la procédure collective était caractérisée dans un tel montage inhabituel mis en place au profit de la SCI qui avait bénéficié «d’un flux financier anormal, au détriment des créanciers de la [SARL] mise en liquidation judiciaire ».

En conclusion, il ressort de ces deux décisions rendues par la Cour de cassation en 2009 et 2010 que l’extension d’une procédure collective pour confusion de patrimoines suppose un examen des circonstances de l’espèce afin de caractériser des relations financières anormales. L’imbrication des éléments comptables conduisant à ne plus pouvoir individualiser les éléments d’actif et de passif des sociétés concernées et les montages ayant vocation à atteindre aux intérêts des créanciers de l’une au bénéfice de l’autre société constituent les éléments principaux sur lesquels la Cour de cassation porte une attention particulière.

Notes : 
(1) C. cam., art. L. 621-2, al. 2; art. L. 631-7 et L. 641-1, /.
(2) Cass. com., 24 oct. 1995, n° 1869 P, SA Leading c/ SARL Forest 1 : RJDA 2/1996, n° 266.
(3) Cass. com., 7 janv. 1981, Tombstone France c/ Benes: Bull. civ. 1981, IV, n° 16.
(4) Cass. com. 16 juin 2009, n° 08-15883, Société Maurice Moroni c/ Mayrand ès qualités.
(5) Cass. com., 19 déc. 2000, n° 2112 F-D, SCI du 12, rue Edouard Verpraet {59} c/ Périn ès quai. : RJDA 3/2001, n° 338.
(6) Cass. com., 26 mai 2010, n° 09-66615, SC/ Roussy c/Roussel ès qualités.

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